Le Noble Jeu de Mail de la ville de Montpellier
rédaction et collection Philippe ESTANG
, Montpellier le 01 Février 2009
Sous l’influence des médias la pratique du golf se développe rapidement ; la télévision nous a familiarisé avec ces vastes perspectives naturelles aménagées où se situent les parcours et les fameux trous ; nous admirons les superbes attitudes des joueurs de talent et si le vocabulaire exclusivement anglo – saxon de ce sport reste encore mystérieux pour beaucoup , les diverses installations des terrains et de leurs annexes sont là pour l’initiation et la formation de chacun.
Alors certains Languedociens ont pu se demander si par hasard , il n’aurait pas existé dans cette province un jeu plus ou moins voisin , plus ou moins parent du golf ; les plus anciens ont répondu tout de suite ; ils avaient pratiqué ou vu pratiquer par leurs aînés le noble Jeu de Mail servi par Les chevaliers du Bois Roulant . D’autres ont découvert que le chanoine d’Aigrefeuille avait écrit dans son Histoire de Montpellier , éditée en 1730 que “ le jeu de mail est plus ancien et plus particulier à la ville de Montpellier que le jeu de ballon , puisqu’on dit en proverbe que les enfants y naissent un mail à la main “.
Le jeu consiste à pousser à l’aide d’un maillet , une boule en racine de buis pour atteindre un but déterminé constitué par une borne de pierre.
A l’origine le jeu se pratiquait sur un espace naturel quelconque jugé favorable ; c’était du “ tout terrain “ ou presque , puisque seules les terres ensemencées étaient exclues des parcours ; le règlement de 1772 réduit cet espace et précise en son article premier :“Tous les chemins de traverses , tous les fossés , grands et petits , tous les creux aboutissant et communiquant aux chemins lorsqu’ils ne seront pas clos par des terres élevées , murailles ou autres limites doivent servir de jeu “
.
Mais déjà , un lieutenant – général de la Province avait pu faire aménager un joc de mailhou , de long de la muralha de l’Espitau General ,
Le 2 décembre 1835 , Zoé Granier , l’un des maires les plus connus de Montpellier prend un arrêté aux termes duquel il est “ défendu de jouer au mail sur tous autres chemins que ceux ci – après désignés “ .
La liste comprend du côté de Lattes quinze chemins ou portions de chemins précisément délimités ( chemins des Aiguerelles , de Moularès , de la Première Ecluse , de la Perruque entre autres ) ; on y trouve également quatre chemins du côté de Castelnau dont le chemin du Jeu – de – Mail , le chemin de la Justice et le chemin du Pioch – de – Boutonnet .
Plus tard des terrains privés seront spécialement aménagés , notamment par les fabricants et loueurs de mails , très connus autrefois sous le nom de palemardiers : les plus fréquentés d’entre eux étaient le mail des Arceaux , le mail de la Citadelle , le Jeu de mail , en face des Cliniques Saint – Eloi et le Jeu de Mail des Abbés , au quartier de la Peira – Roge ( la Pierre – Rouge ). .
Quels que soient les terrains utilisés , le parcours est préétabli ; il comprend des passages obligés avec obstacles à franchir ou à contourner , mais surtout un certain nombre de bornes , toucas en langue d’oc , tocas en graphie occitane normalisée , traduit en français par pierre de touche . Ces bornes dont la hauteur est environ d’un pan , ( en graphie normalisée un palm ) , soit un peu moins de vingt – cinq centimètres , ont une section carrée dont le côté est égal au double du diamètre de la boule. L’itinéraire est continu ; la boule reste sur le terrain ; on joue à tour de rôle ; le vainqueur est celui qui atteint le but avec le plus petit nombre de coups.
“ Le Noble Jeu de Mail de la ville de Montpellier “ , oeuvre de J. Sudre , est édité chez Martel en 1772 ; l’auteur décrit dans une préface les vertus du jeu et ses titres de noblesse acquis dans plusieurs cours d’Europe . On peut y lire quelques phrases étonnantes :
“ Le Jeu a toujours été regardé comme un des plus innocents et des plus agréables amusements de la vie , puisqu’en réunissant la force à l’adresse , il rend sain et robuste et donne à la jeunesse la dextérité et l’agilité du corps , si utiles pour le maniement des armes et pour l’exercice des Arts mécaniques . L’!intervalle pour rejoindre la boule procure l’agrément d’une douce promenade ; la conversation , le plaisir du Jeu donnent de l’appétit et aident à la digestion . Enfin , tout le monde sait l’utilité de la Gymnastique , pour prévenir les maladies , et en guérir quelques unes ; l’agitation qu’on se donne , en poussant la boule d’espace en espace , fait un merveilleux effet pour la transpiration des humeurs , et il n’est point de rhumatisme , et autres maux semblables, que l’on ne puisse par là prévenir ou guérir , car de tous les Jeux d’exercice , le Jeu de Mail , au jugement de la Faculté de Médecine de Montpellier , est le meilleur pour la santé .
La Préface est suivie d’un chapitre initial intitulé “Principes pour apprendre à bien jouer au mail “. On y trouve des précisions intéressantes sur le choix du mail et de la boule , ainsi que sur les positions du corps , des pieds , des bras et des mains ; par exemple :
“ Le corps ne doit être ni trop courbé , ni trop droit , mais médiocrement penché à proportion de la longueur du manche du mail , afin qu’en frappant , il se soutienne par la force des reins , en le tournant doucement en arrière de la ceinture , en haut avec la tête , sans toutefois perdre la boule de vue . C’est ce demi – tour du corps qui faisant faire un grand cercle au mail , produit conjointement avec les bras l’effet de la force mouvante qui vient de loin
On ne doit pas lever le mail trop vite , mais seulement sans se laisser emporter , le tenir peu dans sa plus haute portée , pour frapper sur – le – champ le coup avec vigueur , en y joignant la force du poignet , sans changer néanmoins la situation du corps , des bras ni des pieds , afin de conserver toujours la même union que l’on a dû prendre du premier coup d’oeil avec la boule .
Les mains doivent être près l’une de l’autre , les bras ni trop raides ni trop éloignés , mais faciles et déliés , afin que le coup soit libre et aisé . La main gauche , qui est la première posée , doit avoir le pouce vis – à – vis de celui de la main droite ; les deux pouces doivent se croiser un peu en biais sur le bout des autres doigts ; ils ne doivent pas être dessus ni à côté du manche , mais le pouce gauche doit être assujetti entre le petit doigt et le poignet , pour pouvoir , avec aisance et les bras déliés, faire uniment et doucement le demi-cercle de la levée du mail . Enfin , il faut descendre le mail avec vigueur , sans perdre néanmoins la juste proportion pour arriver au point où la boule doit être prise , afin d’unir ensemble avec le coup d’oeil la posée où l’on se propose de porter la boule “ .
Toutefois la partie essentielle du document est constituée par le fameux Règlement du Jeu de Mail , en 77 articles ounte tout es previst , reglat , esclarcit e definit embé de poulits dessens finament gravats ( où tout est prévu , réglé , éclairci et défini , avec de jolis dessins finement gravés ).
Sans entrer dans le détail d’une réglementation très pointilleuse , on citera quelques articles simples .
Art . 5 – Avant de débuter
Avant de débuter , on convient de ce qu’on joue , de la route de jeu qu’on doit suivre s’il y en a plusieurs , et de la pierre où l’on doit aller finir la partie . On commence la partie près de la pierre de touche , ou autre endroit convenu , en plaçant la boule à son gré . Après quoi l’Adversaire , c’est – à – dire celui qui doit jouer après , peut s’avancer de la longueur d’un manche de mail , s’il veut , ou se reculer .
Art . 42 – Mouiller la boule
Le joueur ne pourra mouiller la boule à dessein de la faire tenir en jouant ou croquant sur un lieu élevé , n’étant permis que de la frotter avec de l’herbe .
Art . 58 – La boule partagée dans sa course
Le joueur pourra refaire son coup lorsqu’il partagera sa boule en deux pièces séparées faisant route ; mais il n’en pourra pas faire de même lorsqu’il sera arrivé à la boule , et qu’on la trouvera fendue ou mise hors d’état de pouvoir continuer d‘en jouer ; on pourra seulement en mettre une autre pour finir la partie .
Art .75 – La partie commencée ne peut être renvoyée sans cause légitime et prouvée
Une partie commencée ne peut être renvoyée à un autre jour sans légitime cause , comme mauvais temps survenu , pluie , manque de jour , ou enfin quelque affaire ou cas imprévu , reconnu véritable , à moins qu’il n’en soit autrement convenu entre joueurs . Car alors , il y aura mauvaise foi de la part de celui qui la renvoie , et , en ce cas , il sera condamné comme s’il l’avait perdue et tenu de payer ce qui se joue .
A la fin de son livre , J. Sudre ajoute quelques Renseignements supplémentaires ; les deux derniers paragraphes méritent d’être cités : “ Les règles dont nous venons de parler sont assez généralement établies à Montpellier , mais il en est beaucoup d’autres sur lesquelles on n’est nullement d’accord .
En suivant exactement ce Règlement , on préviendra à l’avenir toutes les mauvaises contestations , toutes les chicanes, qui font si souvent perdre la partie à celui qui l’aurait légitimement gagnée , si le caprice , le défaut d’expérience ou le désir de gagner contre toutes les règles n’eussent pas décidé “ .
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Le matériel du jeu comprend une boule et un mail pour la pousser.
Le mail ou palemard était composé d’un manche souple en bois de micocoulier d’une longueur adaptée à la taille du joueur , soit pour les plus longs une demie canne , un peu moins d’un mètre ; au bout du manche , une tête en racine de buis, cerclée de fer doux dont les extrémités sont taillées de façon différente ; l’une sur un plan vertical, la massa , utilisée pour pousser la boule , l’autre biseautée , la lèva , servant à la soulever et à l’envoyer au loin . D’Aigrefeuille rapporte qu’un joueur habile pouvait “ dans trois coups . . . . . mettre la boule dans la coupe d’un chapeau à cent pas de distance “
Une bonne boule “ est l’âme de la partie “ ; elle doit être “ de bon buis fin , bien noué , fort sec et d’un poids proportionné à sa grosseur ; il est essentiel que les noeuds , qui paraissent souvent sur les deux côtés opposés de la boule , soient le plus petits qu’il se pourra . Elle doit être frappée à la pierre par le maître Palemardier “ . Puis , elle est “rodée “ dans des parties d’entraînement avant son utilisation en compétition .
“ Le suc de pariétaire ( herbe de Notre – Dame ) conserve les boules , lorsqu’on les frotte souvent avec cette herbe , ce qui les endurcit , leur fait prendre de la nourriture et du poids “.
Mails et boules étaient fabriqués par des artisans spécialisés , les Palemardiers ; chaque Maître – Palemardier avait son atelier , ses compagnons et ses aides ; il fabriquait mails et boules qu’il vendait ou louait aux amateurs.
Les Palemardiers concevaient et dirigeaient l’aménagement d’un certain nombre de parcours ; en maintes circonstances , ils jouaient le rôle d’arbitres entre les pratiquants . Aux veilles de la Révolution , on comptait une douzaine de Maîtres – Palemardiers qui vivaient “ commodément “ à Montpellier. Ils formaient une corporation dont les statuts avaient été approuvés par le Sénéchal de Montpellier le 4 septembre 1668 , puis par un arrêt du Parlement de Toulouse intervenu le 28 novembre de la même année .C’est à cette époque que le Maître François Grasset , le plus connu des palemardiers montpelliérains exerçait ses talents.
Ecoutons Alphonse Anglada rapporter un poème écrit en 1885 :
“Enfants de Montpellier , race alerte et vaillante ,
“Vous dont la noble ardeur que tout le monde vante ,
“ De vos pères jadis imitant la valeur ,
“ Entretenait du corps l’adresse et la vigueur ,
“ Laisserez – vous périr par votre indifférence ,
“ Le noble Jeu de Mail ? Ingrats ! Quelle inconstance ,
“ Vous fait abandonner ce roi de tous les jeux ,
Qu’avec un soin jaloux pratiquaient vos aïeux ?
“ Habitants du Clapàs , suivez donc mon conseil .
“ Consacrez vos loisirs à ce jeu sans pareil .
Une phrase du livre de J. Sudre permettra de conclure : “ Les Anglais qui arrivent dans Montpellier , ne peuvent d’abord se persuader que tant de personnes puissent s’amuser à courir , disent – ils , après un morceau de bois : mais ils reviennent bientôt de leur erreur . . . .” . Certains avancent que notre Noble Jeu de Mail serait à l’origine du golf anglo – saxon . Pourquoi pas ?