Le Golf de la Nivelle vu par Fabien SOLLAR – 1924 –

 

Souvenir du Pays Basque

« Sur le Golf »

Je me souviens que, sur le golf de Saint Jean de Luz, je me suis fait, un jour, accompagner par un ami qui n’avait jamais joué. C’est une chose qu’il faut faire le moins possible.

Il ne cessa de ricaner :

– Vraiment…? Vous prenez plaisir à envoyer à tour de bras une chétive balle blanche à travers la campagne, et à la voir disparaître, après beaucoup d’efforts, dans un trou minuscule?

Il eut un haussement d’épaules, un sourire de pitié, et continua :

– Si vous aimez la campagne, vous feriez mieux de la regarder que de vous hypnotiser sur un point blanc, de perdre votre temps à le chercher dans l’herbe et dans les broussailles, de vous acharner à l’extraire d’une carrière, en tapant dessus à coups redoublés, en vous envoyant du sable plein les yeux.

Pour faire cesser ces moqueries, il n’y avait qu’un moyen, mais qui réussit toujours. Je l’employais.

Je venais de rater un drive. Naturellement, mon ami, goguenard, déclara :

– Je parie que j’en ferai autant, du premier coup.

Je tenais mon homme.

Je lui passais immédiatement mon club, en me donnant l’apparence d’un homme profondément vexé :

– Essayez, lui dis-je.

Il tapa, rata, retapa et finit par envoyer sa balle à cinquante mètres. Alors, il se redressa, vainqueur, satisfait, supérieur.

Au départ suivant, il recommença.

Dès le lendemain, il devint un joueur passionné, prit des leçons, remplit un sac somptueux d’une multitude de clubs – de quoi écraser le cadet,- s’habilla avec le dernier chic anglais, voulut envoyer sa balle toujours plus loin et toujours mieux, un véritable joueur de golf, enfin.

Et il comprit que le jeu n’empêche pas de regarder le paysage, mais, au contraire, en donnant de l’imprévu à la promenade, permet au joueur de le contempler dans l’infinie variété de ses aspects. Vingt et trente fois, le joueur peut refaire le parcours : ce sera plaisir toujours nouveau.

Il est impossible de parcourir celui de Saint Jean de Luz sans émerveillement, à chaque pas. Il faudrait fermer les yeux pour empêcher d’admirer. Le sacrilège est impossible.

D’ailleurs, un goût profond de la nature est le propre du vrai joueur de golf. Nous n’en voulons pour preuve que le choix des terrains.

Nos golfs de France sont presque tous dans des sites admirables, mais l’un des plus beaux est celui de Saint Jean de Luz; il offre à la fois un paysage de montagne, de mer et de campagne.

Et dans quel pays ! Celui qui s’étend entre la mer étincelante de Biscaye, la chaîne vaporeuse des Pyrénées et la tendre rivière de l’Adour, le pays basque trois fois divin chanté par Pierre Loti !

Du terrain de golf on embrasse d’un seul coup d’oeil le pays, sous toutes ses formes, riches en contrastes, poutant harmonieuses et unies, tout à tour empreintes de gaîté, de grandeur et de charme.

Sitôt que le joueur gagne les points élevés où sont situés les départs, il aperçoit entre les arbres la baie de Saint Jean de Luz, depuis les rochers à pic de Sainte-Barbe que la mer tourmente sans fin, jusqu’au vieux fort de Socoa, construit par Vauban; et, au-delà, l’Océan. S’il se retourne, il a devant lui la chaîne des Pyrénées, assez lointaine pour qu’il en puisse admirer le déroulement somptueux, et les masses sombres, de plus en plus claires et légères à mesure qu’elles s’éloignent; assez proche pour qu’il puisse goûter ses ombres veloutées et la grâce de ses lignes onduleuses.

Ce sont ces mêmes montagnes dont Loti a peint  » les teintes violentes du brun et de vert sombre ».

Vers le sud-est,  » la partie de l’Espagne qui est visible, la cîme dénudée et rousse, familière aux contrebandiers, se dresse toute voisine dans le beau ciel clair ».

Enfin, d’un troisième côté, le terrain s’incline doucement vers la vallée de la Nivelle qu’on voit paraître et disparaître en ses nombreux méandres, depuis le village d’Ascain où vécut le romancier-poète, où il écrivit Ramuntcho, jusqu’à son embouchure, tout au long de Ciboure.

Dans les eaux de la Nivelle se reflètent les maisons basques, blanches et vives sous la couche de chaux, dont les toitures irrégulières semblent toujours chavirer; égayées par les balcons de bois où pendant les piments rouges, par les poutres visibles qui s’entrecroisent pour des arabesques toujours les mêmes, d’un rite immuable : entourées de bancs de pierre où les vieux se reposent, où les jeunes viennent parler d’amour.

Le long de cette vallée, on aperçoit toujours quelque char traîné par des boeufs blancs et on entend le bouvier, coiffé du traditionnel béret, qui chante des couplets venus du fond des âges dans cette langue euskarienne, la plus vieille et la plus mystérieuse d’Europe.

Terrain fortuné où la fraîcheur de la montagne et de l’Océan, accrue par les ombres des grands platanes, permet de jouer en plein été; où la douceur du climat pyrénéen et le vif éclat d’un soleil presque espagnol, permet de jouer en plein hiver.

C’est dans ce pays de Ramuntcho qu’il faut venir jouer au golf, de novembre en avril. L’air vif y incite aux longues promenades sans fatigue. On y est toujours dispos pour envoyer, en des drives puissants, la minuscule balle blanche à travers le ciel bleu. On y chemine sur un tapis moelleux qui donne à la démarche de la souplesse et du rythme.

[….] Il n’est pas de lieu sur la terre où le sport du golf incite à plus de noblesse et de sérénité.

Il semble qu’on ait ici, devant l’admirable horizon, mieux que sur les autres terrains, le sentiment de l’harmonie des attitudes et de la grâce des mouvements. Ce serait faire injure au paysage que frapper la balle avec brutalité. Toute violence serait une fausse note, aussitôt ressentie.

Le geste des joueuses, toujours charmant, prend une valeur nouvelle.
Quand le balancement des bras se termine par l’envolée de la balle, par une inclinaison souple de tout le corps qui soudain s’immobilise, on a, dans ce cadre somptueux, plus qu’ailleurs, l’impression de Beauté….

Extrait de : P.O.-MIDI Gazette / 22 novembre 1924 / Article de Fabien SOLLAR